Jean-Luc BRISSON
professeur d'arts plastiques
à l'École nationale supérieure du paysage de Versailles
écrivain et artiste français
Paris 21 avril 1956
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"On voit souvent des trains de nuages suivre le cours des rivières à distance. C’est une vieille histoire - un vieux malentendu. Les nuages, considérant les vifs reflets argentés des rivières les plus turbulentes comme des lames qui menaçaient de les éventrer, s’arrangèrent, par processions entières, pour s’interposer entre elles et le soleil. Ainsi la menace s’estompait ou même disparaissait.
Les rivières ne supportèrent pas qu’on leur fît de l’ombre et se révoltèrent. Ce fut alors le temps des crues : non pas ces débordements exceptionnels et saisonniers, finalement plutôt bénéfiques, une fois la frayeur partie. Non, ce furent des colères systématiques amassées en amont, inexorables comme des menstrues. Mais l’évaporation, plus importante, de ces étendues d’eau élargies, gonfla les nuages qui recouvrirent toute la masse d’eau. Peine perdue.
Désarmées, les rivières décidèrent alors de désobéir à la plus haute autorité les régissant : le relief. Elles voulurent suivre leurs désirs plutôt que la pente. Ce fut le temps de la beauté géographique. Elles cherchèrent à connaître et faire connaître leur tracé idéal, leur profil optimal : les plus beaux coudes, les plus belles gorges, la plus belle hanche de confluence, les résurgences, l’incroyable ripisylve où se perdre vraiment … Les nuages désarçonnés espacèrent leurs parades. Pour être à la hauteur des paysages chamboulés par les caprices des rivières, il leur fallut s’inventer de nouvelles formes."
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