Paul SÉBILLOT
ethnologue, folkloriste, écrivain et peintre français
Matignon 6 février 1843 - Paris 23 avril 1918
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Noms pittoresques des nuages
A Fourmies (Nord), les enfants donnent le nom d’anges aux petits nuages floconneux ; ce terme n'est pas expliqué ; mais on en rencontre un similaire dans l'Albret, où un petit nuage blanc que l'on voit parfois au devant du soleil est « l'ange de Videau-des-Bourns » ; il a perdu ce méchant avare, disparu dans une fondrière, et il descend du ciel pour le chercher.
Certains nuages, qui se montrent presque périodiquement sous les mêmes formes, ont suggéré des comparaisons avec des objets réels, et le peuple n'a pas manqué de leur donner des noms analogues à cet aspect ; souvent ils sont assimilés à des arbres.
On appelle Arbre d'Abraham en Hesbaye, et Arbre Saint Barnabé en Condroz un éventail de nuées longues aux bords vagues.et l'on dit que quand il a les pieds dans l'eau, c'est-à-dire dans, la direction d'un cours d'eau, il pleuvra bientôt. L'Abrecâbre du pays de Blois est un groupe de nuages légers qui paraissent à l'horizon du côté de l'ouest ou du sud, à la fin d'une journée, sous la forme d'un arbre branchu, et qui est regardé comme le signe de la continuation du beau temps.
Dans l'est de la France, on appelle Arbre des Macchabées, en Bourgogne et dans les Ardennes, Poéri Machabé, Poirier des Macchabées, dans le pays messin, les grands développements de cirrus, qui, sous forme de rameaux partant d’un tronc caché par l'horizon, envahissent parfois le ciel tout entier. Les montagnards vosgiens désignent sous le nom de méquébé une sorte de nuage, qui, d'après eux, ressemble à une gigantesque branche de fougère. En Anjou, quand le ciel est couvert de grands nuages dont les contours imitent la forme des branches et du tronc d'un chêne, on dit qu'on voit le Chêne de Montsabran, qui est le présage d'un ouragan mêlé de pluie. Le Chêne marin est le Chêne de Montsabran renversé ; il annonce le beau temps.
Aux environs de Valenciennes, des nuages précurseurs de tempête et d'éclairs sont appelés Fleurs d'orage Un nuage blanc, immobile, plus élevé que les autres, que l'on aperçoit quelquefois de l'île de Sein. au-dessus de la grande terre, dans la baie des Trépassés, s'appelle Boquet Yan gô, le Bouquet de Jean le Vieux ou le Forgeron, et l'on en tire des présages de temps.
Les marins de la Manche appellent les Châteaux de gros nuages noirs, réputés dangereux. En Provence on retrouve la même idée avec plus de développement. Les nuages bas qui frôlent l'horizon portent le nom de défenses (emparo); quand l'emparo est allongée et qu'elle s'étend au loin à la vue, elle prend le nom de remparts (bérri). Lorsqu'en haut de ces remparts se dressent de petits nuages colorés, ceux-ci prennent le nom de tourelles (tourello). Lorsqu'un gros nuage chargé de tonnerre et de grêle monte comme une tour, on l'appelle donjon (tourrougat) Lorsque enfin les nuages, menaçants et noirs, commencent à éclater dans le ciel avec leurs tours et leurs remparts on les appelle des châteaux (castèu). Dans le Lauragais (Haute-Garonne), les cumulus qui présentent! l'aspect de montagnes rocheuses aux crêtes dentelées portent le nom de Rocs ; il y a le Roc de Saint-Estapi, saint vénéré à Dourgne dans le Tarn, ou de Saint-Ferréol, qui porte aussi la désignation de Barboblanc (barbe blanche), le Roc de Fouis (Foix) le Roc del Canigou qui se forme dans la région du Sud.
Sur la côte de Tréguier, des nuages appelés Berniotrez, tas de sable, se montrent par le beau temps.
Quand au printemps, des nuages noirs, énormes, chargés de grêle, traversent le ciel, le peuple dit en Anjou : «Voilà la Nuée de Navarre». Ce terme, que l'on a supposé se lier au souvenir des Navarrais de Charles le Mauvais, désigne peut-être le côté d'où vient l'orage, comme le Roc de Santonjou (de Saintonge) en Lauragais.
Les noms de quelques nuages sont en relation avec la ressemblance qu’ils présentent avec des animaux ; presque partout, les cirrus ont éveillé l’idée de laine ou de moutons ; lorsque les marins de la Manche les voient s’élever dans le ciel, ils disent que les moutons montent en bergerie. Les nuages en forme de plumes qui annoncent le vent, sont appelés Barbes de chat. A l’île de Batz, on donne le nom de Lagadou touill, yeux de roussettes (chiens de mer), aux nuages jaunes, rouges en cercle, qui sont un présage de mauvais temps. Quand les pêcheurs de la Manche voient le ciel couvert de nuages, ils disent parfois que les poissons déménagent et qu’ils quittent l'eau pour aller dans l'air.
En Lauragais, les cirrus sont assimilés à des plumes d'oiseaux ou à des toiles d'araignée : en Provence, de petites nuées blanches s'appellent aussi li Telo d’l'iragno ; li Balo de lano, les balles de laine courent dans le ciel quand le mistral souffle : ce terme est aussi usité en Haute-Bretagne.
in Le folklore de France – Le ciel et la terre
Livre premier – Chapitre II : les météores § 6 Les nuages et les apparitions en l’air