Louis Maximilien DURU
abbé érudit français
Villeneuve sur Yonne 23 mars 1804 - Auxerre 5 août 1869
__________
La rose et le nuage
Contre les avares
Tout brûle dans les champs, le ciel est sans nuages ;
Un seul aux plis légers, bordé d'argent et d'or,
Vogue nonchalamment dans les célestes plages,
Comme sur l'Océan le vaisseau prend l'essor,
Ou comme, au gré de vingt zéphyrs volages,
La voile roule sa blancheur
Sur l'azur immobile où glisse le pêcheur.
Mourant de soif, à peine éclose,
Et, soulevant son front flétri par la pâleur,
Sur la grève, une pauvre Rose
A ce Nuage voyageur
Semblait crier avec douleur :
- Beau Nuage, sois-moi propice ?
Dieu m'a promis tes doux présents :
Pour moi, daigne entrouvrir tes flancs ;
Verse une goutte à mon calice ?
Tous mes membres sont languissants,
Riche Nuage, un peu d'eau, je succombe,
Je meurs ; avec moi dans la tombe
Descendent mes nombreux enfants ! -
Et, méprisant la fleur jolie
Et le doux trésor de son sein,
Sans lui laisser une goutte de pluie,
Le Nuage suivit son rapide chemin.
Ah ! pas même un peu d'ombre !... et nul autre nuage
Pendant longtemps ne visita ces bords,
Et la pauvre fleur, sur la plage,
Morte, épancha vainement ses trésors !
Le Nuage dur, c'est l'avare
Qui n'a pour l'indigent qu'un regard dédaigneux ;
La Rose est le pauvre Lazare.
Mais Dieu les voit du haut des cieux,
Et sa justice leur prépare
Ce qu'ils méritent tous les deux.
in Fables nouvelles
ou Leçons d'un maître à ses élèves - Livre troisième, Fable XI - 1855