Eugène NUS
écrivain français
1816-1894
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Le nuage
Je suis le fils des vagues bleues ;
Le soleil m'a pris dans la mer,
Et j'ai fait des milliers de lieues
Sur les chemins flottants de l'air.
J'apporte aux continents la vie,
A l'atmosphère, la fraîcheur,
Au poète, la rêverie,
A vos horizons, la couleur.
Les bois m'appellent dans ma course :
Ils ont leur dîme à prélever ;
Et je renouvelle la source
Où le chevreuil vient s'abreuver.
Buvez mon eau pure et féconde,
Biches, oiseaux et gazons verts !
Celui qui m'a tiré de l'onde,
A dispersé mes sels amers.
Je suis la rosée et la pluie ;
Quand j'ai baigné l'herbe et les fleurs,
Un rayon de soleil m'essuie
Pour aller me porter ailleurs.
Au sein de la terre vivante,
J'accomplis des travaux secrets ;
J'apprête les sucs que la plante
Fait monter dans les rameaux frais.
Les monts dont j'effleure la tête,
Sur leurs ravins pierreux penchés,
Me disent, quand je passe : - Arrête !
Nos réservoirs sont desséchés ! -
Mes nappes tombent des collines ;
Et déjà le génie humain
Dresse les plans de ses turbines
Sur les pentes de mon chemin.
Ou bien, dans la chaudière ardente
Dont je mords en vain la paroi,
Il m'emprisonne haletante ,
Et dit : - Esclave, entraîne-moi ! -
- Utilise ma force, maître !
Fais-en des ailes et des bras !
Demande encor ! je ferai naître
D'autres richesses sur mes pas.
Crains-tu que ton foyer s'éteigne ?
Marche, et prodigue sans terreur
Les épargnes de chaque règne !
J'ai la lumière et la chaleur.
Tentez ces nouvelle épreuves ! ...
Adieu, chercheurs de l'inconnu !
Je retourne par les grands fleuves
A la mer d'où je suis venu.