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Hyacinthe du PONTAVICE de HEUSSEY
homme polique et homme de lettres français
Tréguier 28 octobre 1814 - Londres 15 mai 1876

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Les nuages

A  M. Aristide Martin

Enfants légers des eaux, balancés par les vents,
Voilant les feux du jour de leurs rideaux mouvants,
Séduits par la verdure et le froid des montagnes,
Que j'aime à voir errer au-dessus des campagnes
Ces nuages changeants dont les plis vaporeux
S'animent des rayons qui se glissent sur eux !
Ici, la pourpre et l'or dans leurs anneaux se jouent,
Sous la brise du soir, là-bas, ils se dénouent,
L'un vient, l'autre s'en va ; - leur caprice et leur jeu
Dans son calme éternel font rire le ciel bleu !
Ils semblent apporter dans cette paix immense
Le mouvement de l'eau qui leur donna naissance ;
Sous un souffle d'automne, à longs flots s'épanchant,
Ils mêlent leur écume aux splendeurs du couchant,
Estompent du soleil les lueurs attendries,
Autour du clair de lune enflent leurs draperies,
Ou s'enflamment soudain au vol de l'ouragan,
Comme si dans leur ombre éclatait un volcan !
Instigateurs secrets de notre fantaisie,
Ils ont trempé nos arts et notre poésie
Dans ces milieux voilés, ce puissant demi-jour,
Qui transforment l'objet en noyant le contour,
Donnent aux chants du Nord leurs tintements funèbres,
Aux types formulés sur les toiles célèbres
Cette mélancolie et ce vague infini
Où flotte le réel à l'idéal uni.
Ah ! si l'homme savait quelle source féconde
Coule pour son esprit de tous les points du monde,
Et ce qu'il peut devoir de progrès, de bonheur,
Et d'éléments de l'âme et de forces du cœur,
Au rayon, à la brise, à la feuille qui tremble,
Comme il étudierait le détail et l'ensemble !
En te comprenant mieux, comme il se comprendrait !
Te donnant son amour, il aurait ton secret,
O nature ! il verrait tes agents, sans relâche
Sur le sol, dans les cieux remplir leur double tâche !
Façonné par les vents, un seul nuage ainsi
Léger rêveur d'en haut, nous fait rêver ici !
Puis quand il a rempli sa mission morale,
Sur la cime des monts il se roule en spirale,
Se transforme en glacier, ou, plus utile encor,
Il se dissout en onde, et, liquide trésor,
Pour apaiser l'ardeur de sa soif éternelle,
Il enfle jusqu'aux bords les coupes de Cybèle,
Tremble sur les forêts en limpide réseau,

Du fleuve qui s'épuise entretient le niveau,
Puis pénétrant le sol en longs torrents de pluie,
Mêlé par notre main à la chaux, à la suie,
Il engraisse la terre, il épaissit le blé ;
Redonne, avec la sève, au grand chêne effeuillé
Son rire de feuillage et ses ombres superbes ;
Rougit dans le raisin, reverdit dans les herbes,
Dans la fleur qu'il nourrit, or, azur ou vermeil,
Rayonne pour l'amour, aux baisers du soleil :
Vers le ciel, où naguère, il se berçait encore,
En parfums enivrants le soir il s'évapore.
Après avoir enfin sous ces modes divers
Achevé son devoir, il redescend des airs !
Ruisseau, fleuve, torrent, en écume argentée
Il retourne gonfler la mer qu'il a quittée,
Rendant au sein profond dont il était éclos,
Tel que Dieu l'a compté, le nombre de ses flots !

in Études et aspirations - 1857* 1859**

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