Henry BAUQUIER
homme de lettres français
Nîmes 1873 - 19..
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Nuages et chagrins
Pour ma femme
Un jour de la douce saison.
J'ai vu, m'amour, de gros nuages,
Venant d'autres lointaines plages,
Lentement poindre à l'horizon.
Et les bluets, les églantines,
Fleurs des bois et fleurs des sillons,
Ne riaient plus aux papillons
Et prenaient des poses chagrines :
" Quoi, beau ciel bleu du mois de Mai, "
Semblait dire chaque mignonne,
" Oserais-tu, lorsque rayonne
Notre beau sourire embaumé,
Oserais-tu verser des larmes,
Oserais-tu mettre à ton front
De méchant plis qui montreront
Ton mépris pour nos pauvres charmes ? "
Et, prenant en pitié les fleurs,
Le ciel, chassant les grands nuages,
Au lieu d'éclater en orages,
Reprit ses brillantes couleurs.
- O toi mon unique tendresse,
Le charme unique de mes yeux,
Lorsque ton regard radieux
Veut s'assombrir d'une tristesse ;
Comme ces malheureuses fleurs
Ecoute alors gémir mon âme :
" Comment, tant vous aimer, Madame,
Et voir vos yeux s'emplir de pleurs !
Ma tendresse est donc impuissante
A mettre en vous quelque bonheur,
Puisqu'en vos yeux, reflet du cœur,
Se montre une douleur naissante."
... Oh ! par pitié, mon cher amour,
Laisse-moi ce consolant rêve
Que par l'amour tout mal s'enlève,
Et, comme. ce ciel d'un beau jour :
Chassant l'ennui, gardant la joie,
Tâche bien de ne pas laisser
Une seule larme glisser
Entre tes cils de fine soie,
Car, ma chérie, en t'embrassant,
Par mes lèvres de suite bue,
Il se pourrait qu'elle me tue
Ainsi qu'un poison très puissant.
in Croquis et réflexions : poésies - 1898