Fernand SÉVERIN
poète belge d'expression française
Grand-Manil 4 février 1867 - Gand 4 septembre 1931
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Les nuages
O nuages aimés! Vous vers qui, tout enfant,
Je bondissais saisi d'une joie éperdue,
Fleurs de l'azur, voiliers légers de l'étendue,
Clairs troupeaux que rassemble et disperse le vent!
Vous qui montez, ainsi qu'un choeur d'Océanides,
Du seuil tumultueux des flots ensoleillés
Dans le grand ciel rempli d'effluves printaniers;
Vous qui portez la vie en vos formes splendides!
Virginité des jours sereins, blancs vagabonds,
Ondoyantes vapeurs que la vallée exhale,
Vous qu'entraîne à son gré la brise matinale
Et dont les clairs lambeaux flottent aux flancs des monts.
Vous entre tous, amour des âmes nostalgiques,
Beaux nuages ardents de notre arrière-été,
Qui, le soir, évoquez, dans la calme clarté,
On ne sait quel pays aux profondeurs magiques!
Vous enfin, messagers paisibles du soleil,
Duvet aérien qu'un premier reflet dore,
Effeuillement lointain des roses de l'aurore,
Flocons de pourpre épars dans l'orient vermeil!
Passants légers vêtus d'azur, d'or ou de flammes,
Que suivaient autrefois mes rêves ingénus,
Un jour viendra peut-être, ô divins inconnus,
Où votre grâce seule enchantera les âmes!
La terre, que vêtit, en des temps fortunés,
L'immense et virginal frisson de la verdure,
Dépouille peu à peu son antique parure;
Un jour brutal descend dans ses flancs profanés.
Quand rien ne restera de ses splendeurs sauvages,
Et que l'homme, gardant son rêve de beauté,
Verra partout l'horreur d'un monde dévasté,
Ses yeux se lèveront vers vous, libres nuages.